👤

Histoire du Moulin de Bazoncourt - Les Origines Médiévales (875-1485)

Introduction historique

875. C'est la première trace écrite du Moulin de Bazoncourt dans les archives de l'abbaye Sainte-Glossinde, mais l'histoire pourrait commencer bien avant. À deux kilomètres seulement, on a découvert récemment une villa gallo-romaine à Lemud. Une belle propriété antique, prospère, qui témoigne d'une occupation ancienne de la micro-région. D'autres villas ont été identifiées au siècle dernier. Une à proximité de la Fontaine-aux-Allemands (entre Berlize et Bazoncourt), à Frenois, à Fourcheux, à Vaucremont et d'autres à Frécourt, Sorbey, etc., confirmant que ce territoire était densément occupé durant l'Antiquité. La voie romaine Metz-Keskastel passait justement entre Bazoncourt et Berlize, axe commercial majeur qui reliait Divodurum (Metz) aux territoires de l'Est.

Les Gallo-Romains savaient, dès le Ier siècle, utiliser l'énergie hydraulique et construire des moulins de grande taille. À cette époque, en Moselle, les meules venaient des carrières de basalte de l'Eifel en Allemagne, ou des grès ardennais. Des réseaux commerciaux bien établis, donc, qui empruntaient ces voies comme celle de Metz-Keskastel. Le site de Bazoncourt réunissait tous les atouts : position idéale sur la Nied, proximité immédiate d'une voie romaine importante, présence de plusieurs villae dans un rayon de quelques kilomètres, proximité de Metz...

Difficile d'imaginer qu'un tel emplacement stratégique soit resté vierge pendant l'Antiquité. L'hypothèse tient la route : un moulin antique aurait existé ici, puis aurait été réactivé à l'époque carolingienne. Ce qui expliquerait la mention de 875.

Abbaye de Sainte-Gossinde

Entre 875 et 1485, la période médiévale bien documentée raconte une autre histoire. Le moulin passe successivement entre les mains de deux grandes abbayes : Sainte-Glossinde d'abord, puis Saint-Pierre. Ces institutions religieuses ne font pas dans la dentelle. Elles exploitent la Nied française à fond, développent une meunerie prospère, structurée comme une petite entreprise médiévale. Droits de banalité (les paysans sont obligés de venir moudre ici), redevances seigneuriales qui tombent régulièrement, privilèges de pêche dans la Nied... Le moulin devient vite un élément central de l'économie locale. Dès l'époque carolingienne, c'est un site stratégique. Et ça ne va pas s'arrêter de sitôt.

Sources : Répertoire Archéologique du département de la Moselle - 1950 - p111 - INRAP

Développements historiques notables

Dates Propriétaires ecclésiastiques Seigneurs de Bazoncourt
875 - 962 Abbaye SAINTE-GLOSSINDE
1278 Abbaye de SAINT-PIERRE Arnout le Roi (droits partagés) - Donation de Poencignons
XIIIe siècle Geoffroy DE GOURNAY & Ysabel MOYELAN
1318 Poncette Françoise DE GOURNAY & Jacquemin D'ESCH (1320-ca 1372)
1350 Jean D'ESCH (✝ ca 1397) & Isabelle DE LOUVE (ca 1360)
1375 - 1455 Archiprêtré de WARIZE Jacques D'ESCH & Poincette DE VY (1380)
1455 - 1485 Philippe D'ESCH (1416) & Comtesse DE WARIZE (1417-1485)

875 à 962 : Charte de Sainte-Glossinde

Image de Sainte-Glossinde

Bazoncourt, désigné dans les documents historiques comme Busoniscurtis en 875 et Bazancort en 1235, était autrefois une seigneurie dotée d'un château fort et relevant de l'abbaye Sainte-Glossinde. Le site comprenait des installations dont un moulin à grains, ses dépendances et bénéficiait de droits de pêche substantiels dans la Nied.

Image historique du document

Das Reichsland Elsass Lothringen – extrait

Das Reichsland Elsass Lothringen - transcription

Extrait de la Charte de confirmation des biens de l'abbaye de Sainte-Glossinde accordée aux religieuses de cette communauté par THIERRI 1er, XLVII (47eme) évêque de Metz, le 1er Février 968, publié par Dembour et Gangel, d'après une copie faite en 1293, par Othin, clerc de Bioncourt ; Document tiré des archives du département de la Moselle, précédé d'une notice sur l'abbaye de Sainte-Glossinde par M. le baron Emmanuel d'Huart.

Sources : Charte de confirmation des biens de l'abbaye de Sainte-Glossinde - page 32

Xe-XIe siècles - L'émergence des moulins hydrauliques fixes et des premières techniques

Vers l'an mil, la Lorraine assiste à une révolution technique : l'abandon progressif des moulins flottants au profit des installations fixes. Le plateau lorrain, richement doté en ruisseaux, favorise cette multiplication des moulins qui s'établissent sur les petits cours d'eau.

Rouet et lanterne

Rouet et lanterne - système de transmission médiéval

Les matériaux évoluent. Contrairement aux civilisations antiques qui utilisaient principalement des laves scorifiées (Grèce) ou du basalte et des tronçons de colonnes de granit (Rome), les moulins lorrains développent l'usage du grès local, matériau abondant mais nécessitant une maîtrise technique particulière.

Le système de transmission se compose d'un rouet massif en bois d'orme, portant à sa périphérie de grosses dents appelées alluchons, et d'une lanterne dont l'axe vertical transmet le mouvement à la meule supérieure.

Les meules évoluent de la construction monolithique vers l'assemblage de morceaux choisis. Cette innovation fondamentale permet d'obtenir une homogénéité impossible avec les blocs uniques. Les morceaux sont soigneusement taillés, ajustés et réunis au moyen d'un ciment spécial.

Ces meules présentent encore des défauts majeurs selon les standards modernes : usure irrégulière due au manque d'homogénéité, faible résistance et production d'une farine contenant une portion de pierre arrachée à la meule pendant la mouture. Le grain est transformé sans nettoyage préalable en une "boulange brute" que le consommateur doit tamiser selon ses besoins.

1139 - Transfert des biens au profit de l'Abbaye de Saint-Pierre

Das Reichsland Elsass Lothringen – page 64

Les biens de Bazoncourt, y compris le moulin, sont transférés à l'abbaye de Saint-Pierre à la suite d'un échange, intégrant ainsi cette terre à son ancienne seigneurie, le Ban Saint-Pierre. Ce transfert s'accompagne d'investissements techniques. L'abbaye Saint-Pierre apporte les capitaux nécessaires à la modernisation des installations existantes et à l'adoption des dernières innovations en matière de meunerie. Das Reichsland Elsass Lothringen – page 64

Bazoncourt, Df. (Ka. Pange [1790 Ka. Kurzel, 1792- 1802 Ka. Maizeroy), Kr. Metz, L.). 463 E. 131 Hsr. (10 GRe.) 235 m. AG. Rémilly (8,5), Bhf. Courcelles a. d. Nied (6,2). Bozonis curtis 875; Bazancort 1235; ma. Bä- sonco. Die Gde. umfasst den HO. B. (200 E. 54 Hsr.) und die AO.: Berlize (s. 1812, vorher selbständig), Fourcheux, Frenois, Vaucremont (s. 1812, vorher selbständig); den verschw. Ort Rouvroy. Ortseinn. StEBez. Rémilly. - Kath. Hilfspfarrei des Archipr. Pange (s. 1804). Schutzheiliger hl. Christophorus (25. Juli). (Der AO. Frenois gehört zur Pfarrei Maizeroy.) Filiale: Sanry an der Nied (ausser Domange- ville und Pont à Domangeville). Geschäftssprache fran- zösisch.2 Kalksteinbrüche; kleine Getreidemühle. War Df. des Pays Messin (Saulnois), Herrschaft mit ganzer Gerichtsbarkeit und befestigtem Schlosse. B. war ursprünglich Besitz der Abtei St. Glossinde, 875 und 962 wird ihr der Ort mit Mühle und Fischrechten in der Nied bestätigt; um 1139 scheint dieser Besitz durch Tausch an die Abtei St. Pierre übergangen zu sein, welche ihn mit ihrer damaligen Herrschaft Ban St. Pierre (s. d.) vereinigte. Kirchensatz und Zehnten hatte letztere Abtei schon sehr früh dort gehabt. 1235 wurde ihr dazu noch die Pfarrei einverleibt. Die später entstandene Herrschaft, zu welcher noch 116 des Ban St. Pierre sowie ein Theil der Vogtei gehörte, stammte wohl aus einer unausgelösten Pfändung eines Theils der Herrschaft Ban St. Pierre an Metzer Familien. Besitzer waren im 15. Jhdt. die D'Esch, im 16. Jhdt. die Gournay, 1677 die de Moucha, 1693 die de Grey, im 18. Jhdt. die de Courten.
Das Df. wurde 1404 verbrannt, 1444 durch feindliche Truppen besetzt, 1487 durch den Grafen von Leiningen geplündert, endlich 1677 mit dem Schloss durch Herzog Karl IV. von Lothringen verbrannt. B. war früher Pfarrei des Archipr. Waibelskirchen; Kirche in der zweiten Hälfte des 19. Jhdts. erbaut. Kirchensatz und Zehnten gehörten zur Abtei St.Ludwig (früher zu St. Peter). In der Nähe von B. angebliches Menhir, La pierre du diable. Die Schlossruinen sind jetzt gänzlich abgetragen worden.

1200-1250 - Les perfectionnements techniques du XIIIe siècle

premiers moulins

Hortus deliciarum - Illustration médiévale des techniques de mouture

1200-1250 : Durant cette période d'expansion économique, les meuniers lorrains perfectionnent le rayonnage des meules. Les rayons deviennent légèrement excentrés dans le sens du mouvement de rotation, ce qui active l'avancement des marchandises vers la périphérie et augmente considérablement le débit. Cette technique, adaptée localement, transforme l'efficacité du moulin.

Chaque grain de blé arrivant par l'oeillard reçoit une action tangentielle qui le fait rouler perpendiculairement au rayon. En roulant ainsi, le grain s'écarte progressivement du centre avec une vitesse croissante, parcourant une spirale du centre à la circonférence où il ressort à l'état de farine. Ce n'est pas un simple écrasement, mais une décortication progressive qui tend à enlever le son par pression et cisaillement, les arêtes des meules agissant comme une cisaille.

Les meules évoluent techniquement : diamètre standardisé autour de 2 mètres, forme concave pour la meule volante, convexe pour la gisante, amélioration de l'homogénéité par assemblage de morceaux choisis. On introduit le concept de "mariage des meules" : association d'une pierre plus tendre (gisante) avec une pierre plus dure (courante).

Bien que les moulins lorrains utilisent encore principalement le grès local, des échanges commerciaux commencent à introduire des pierres de meilleure qualité. Les documents mentionnent que la nature des meules doit être en raison inverse de celle des blés : les blés durs nécessitent une pierre plus tendre, les blés tendres une pierre plus vive et plus dure.

Sur la Nied française, ces perfectionnements s'adaptent aux contraintes spécifiques : débit modeste et irrégulier, nécessité de stocker l'eau dans des biefs. Le moulin développe son système de gestion hydraulique avec vannes et déversoirs primitifs.

1278 - Première mention directe des redevances du Moulin de Bazoncourt

Lothringischen geschichte - Erster Teil

Ce document constitue la première mention explicite de redevances portant sur le Moulin de Bazoncourt, désigné ici sous le nom de "moulin à Lumeurs" en raison de sa proximité avec la commune de Lemud qui jouxte Bazoncourt.

"Poencignons li prestes, li fils lou signor Howon lou Bague ke fut, p. b. por Roenate, sa nesce, la fille Arnout lou Roi, sus 17 sols de Metz de cens ke geissent sus lou molin a Lumeurs ( Lymeu, Lemooeud et Lemud ), deleis Ancerville, sus teil partie com Arnoulz li Roiz i ait, et sus 8 sols de Metz ke geixent sus les 3 maisons en Anglemur, k'il ait aquasteit a Arnout lou Roi, e. c. l. e. en l'ai. lou d."

"Le prêtre Poencignons, fils de feu Seigneur Howon du Bague, par bienveillance envers Roenate, sa nièce, la fille d'Arnout le Roi, accorde 17 sols de Metz de redevance grevant le moulin à Lumeurs (Lymeu, Lemooeud et Lemud), près d'Ancerville, sur la part qu'Arnout le Roi y possède, ainsi que sur 8 sols de Metz pesant sur les trois maisons à Anglemur, qu'il a achetées à Arnout le Roi, et ceci est en accord avec la loi du dit Arnout."

"Lou molin a Lumeurs" et "deleis Ancerville" ne laissent aucun doute sur la localisation du moulin, mais ce qui frappe, c'est la somme de 17 sols de Metz, ce qui correspondrait de nos jours à un mois de travail d'un ouvrier (un équivalent SMIC). Une belle redevance pour l'époque ! Visiblement, le moulin tourne bien.

Les améliorations techniques lancées par l'abbaye Saint-Pierre depuis 1139 portent leurs fruits, mais l'affaire se complique quand on lit les détails : Arnout le Roi n'est pas seul propriétaire. Le moulin appartient à plusieurs seigneurs en même temps. Bienvenue dans le système féodal, où un moulin peut avoir trois, quatre, cinq copropriétaires. Chacun sa part, chacun ses droits.

Cette période voit justement les meuniers perfectionner le rayonnage des meules. Les roues tournent plus vite, la productivité augmente et les revenus qui en découlent. D'où ces 17 sols qui circulent. Reste l'histoire familiale : le prêtre Poencignons fait un cadeau à sa nièce Roenate. Une donation, comme on dit. Les revenus du moulin restent dans la famille. Classique pour la petite noblesse locale.

Sources : Die Metzer Bannrollen des dreizehnten Jahrhunderts (Wichmann, K.A.F) - page 304-305

XIIIe siècle - Les seigneurs Geoffroy DE GOURNAY & Ysabel MOYELAN

Au XIIIe siècle, Bazoncourt entre dans la sphère d'influence de deux puissantes familles messines par le mariage de Geoffroy DE GOURNAY (également appelé Joffroy, parfois LE GRONNAIS ou LE GORNAIS) avec Ysabel MOYELAN (aussi nommée Isabelle MOYELAN dite Blanchebon ou Ysabel MOYELLANT).

Armoiries de la famille DE GOURNAY

Armoiries DE GOURNAY : De gueules à trois tours d'argent posées en bande

La famille Moyelan était d'origine étrangère, venue probablement de Lombardie, de Milan, ainsi que leur nom l'indique. Les Moyelan vinrent s'établir à Metz comme changeurs vers le commencement du XIIIe siècle, profitant de l'essor économique de la ville et de son rôle de carrefour commercial.

Cette famille italienne appartint rapidement au paraige messin, c'est-à-dire à l'aristocratie patricienne de la ville. Leur nom, Moyelan, dérive très probablement de "Milano" (Milan), témoignant de leurs racines lombardes. Les Moyelan occupèrent rapidement des positions importantes dans la société messine. Plusieurs membres de la famille portèrent le titre de maître-échevin, fonction essentielle dans l'administration de la République messine. Thiébaut de Moyelan fut notamment Treize en 1277 et maître-échevin en 1284.

Les Gournay constituaient une des plus anciennes familles de la noblesse messine. Leurs armes - "De gueules aux trois tours d'argent en sautoir" - symbolisaient leur puissance et leur prestige. La famille possédait un hôtel à Metz (l'hôtel St-Livier leur appartiendra à partir de la fin du XVIe siècle) et détenait de nombreuses seigneuries dans le pays messin.

Comme les Moyelan, les Gournay occupèrent régulièrement des charges de maître-échevin. Nicole le Gournaix, dit le Vieux, fut maître-échevin en 1280. La famille était profondément impliquée dans la gestion politique et économique de la République messine.

Le mariage entre Geoffroy DE GOURNAY et Ysabel MOYELAN unit deux des plus puissantes familles de Metz, associant l'ancienne noblesse messine (les Gournay) au patriciat marchand enrichi (les Moyelan). Cette alliance permit aux Moyelan d'accéder à la seigneurie de Bazoncourt.

D'après les titres conservés (aujourd'hui perdus), dame Isabelle De Moyellant, épouse de Geoffroy Le Gournay, et dame Idatte De Riste, femme de Thiébaut Barbay, étaient reconnues comme "dames de Bazoncourt", témoignant de droits seigneuriaux partagés sur le territoire.

Cette période voit la consolidation des droits seigneuriaux sur le moulin. Les redevances mentionnées en 1278 (17 sols de Metz) reflètent l'importance économique de l'installation hydraulique pour ces grandes familles qui tiraient une partie substantielle de leurs revenus des droits de banalité et des redevances sur la mouture.

Sources : Les Églises de Metz : recueil des épitaphes des collégiales et couvents par G. Thiriot

1318 - Transmission aux D'ESCH : le mariage de Poncette Françoise DE GOURNAY et Jacquemin D'ESCH

Armoiries de la famille D'Esch

Armoiries D'ESCH : Burelé d'hermine et de gueules

La seigneurie de Bazoncourt connaît un tournant dynastique majeur au début du XIVe siècle avec le mariage de Poncette Françoise DE GOURNAY (aussi appelée Poincette Françoise LE GRONAIS), fille de Geoffroy DE GOURNAY et d'Ysabel MOYELAN, avec Jacquemin D'ESCH (également nommé Jacomin D'ESCH).

Né en 1320 à Schwerdorff, Jacquemin D'ESCH appartient à une famille noble établie dans la région. Il porte les titres de Seigneur d'Useldange et d'Aman de Saint-Euchere, témoignant de l'étendue de ses possessions et de son influence dans le pays messin. Il décède vers 1372, à l'âge d'environ 52 ans.

Poncette Françoise, née vers 1318, est l'héritière directe de l'alliance entre les deux puissantes familles messines que nous avons évoquées précédemment. Par ce mariage, elle apporte à son époux les droits seigneuriaux sur Bazoncourt, incluant les revenus du moulin. L'union de ces deux familles nobles marque le début de la domination des D'ESCH sur la seigneurie, une domination qui durera plus d'un siècle et demi, jusqu'au début du XVIe siècle.

De leur union naît Jean I D'ESCH (1350-1398), qui perpétuera la lignée et maintiendra le contrôle sur le moulin et ses précieux revenus. Pour l'installation hydraulique, ce changement de famille seigneuriale ne modifie pas fondamentalement son fonctionnement. Les droits de banalité demeurent, les redevances continuent de tomber régulièrement, et le moulin poursuit son rôle central dans l'économie locale. Les D'ESCH, comme leurs prédécesseurs Gournay-Moyelan, comprennent l'importance économique de cette infrastructure et veillent à maintenir sa rentabilité.

Sources : Geneanet - Famille D'Esch - Armorial D'Esch - Geneanet Bibliothèque

1360 : Bazoncourt dans l'archiprêtré de Varize - Les pouillés messins

En 1360, Bazoncourt apparaît pour la première fois rattaché à l'archiprêtré de Varize (Werrise) dans les pouillés messins conservés aux archives du Vatican. Ce transfert administratif, qui intervient plus de deux siècles après le passage du moulin à l'abbaye Saint-Pierre en 1139, marque une nouvelle étape dans l'organisation territoriale ecclésiastique de la région.

Les archives du Vatican ont préservé ces documents dans le cadre des collectes organisées par la papauté. Les premières mentions importantes remontent à 1327, où deux collecteurs, envoyés par le pape Jean XXII, furent chargés de lever des fonds pour soutenir l'Église contre les hérésies et les rebellions en Italie.

En 1360, une nouvelle liste fut dressée sous le pape Innocent VI dans le but de lever des fonds pour reconquérir les États romains. Le collecteur pour Metz, Jean de Heu, utilisa largement la possibilité de modérer les exigences financières pour les églises pauvres, classant les paroisses en fonction de leurs capacités contributives.

Dans l'archiprêtré de Varize, l'église paroissiale de Bazoncourt contribue à hauteur de 8 gros au subsidium papal. Cette contribution, bien que modeste comparée aux grandes paroisses urbaines, témoigne de la prospérité relative du village et de son moulin. Cette somme reflète probablement les revenus tirés des droits de banalité et des redevances seigneuriales attachés au moulin.

Le rattachement à l'archiprêtré de Varize s'inscrit dans une logique géographique et administrative. Bien que le moulin et les biens temporels demeurent propriété de l'abbaye Saint-Pierre, l'organisation paroissiale suit désormais les circonscriptions de l'archiprêtré de Varize, facilitant l'administration spirituelle et la collecte des revenus ecclésiastiques.

Sources : Anciens pouillés du diocese de metz publiés et annotés par N. Dorvaux

1373 - Jean Ier D'ESCH et Isabelle DE LOUVE : la continuité dynastique

Vers 1350, Jean Ier D'ESCH prend les rênes de la seigneurie. Fils de Jacquemin D'ESCH et de Poncette Françoise LE GOURNAY, il incarne la deuxième génération de la famille D'ESCH à Bazoncourt. Un homme d'influence à Metz, qui deviendra maître échevin du Palais en 1373. Un poste qui compte dans la hiérarchie messine de l'époque.

En 1370, il épouse Isabelle DE LOUVE. Elle aussi vient d'une famille qui a du poids : les Louve, bien implantés dans le patriciat messin. Son père, Jean 2 DE LOUVE, et sa mère, Marguerite TOUPAT, lui transmettent un réseau d'alliances solide. Isabelle a un frère, Jean 3 DE LOUVE (1355-1401), qui épouse Jeannette NOIRON. Autant dire que les liens familiaux tissent une toile serrée dans l'aristocratie locale.

Le couple donne naissance à trois fils. Jacques II D'ESCH, l'aîné, né en 1371, reprendra le flambeau. Joffroy D'ESCH, décédé avant 1444, et un autre Jean D'ESCH complètent la fratrie. Pour le moulin, ces années marquent la consolidation. Les droits seigneuriaux se transmettent de père en fils, les redevances continuent d'affluer. Jean Ier veille à maintenir la prospérité de l'installation hydraulique, qui reste un pilier économique du domaine.

Jean Ier meurt en 1398 à Metz, à l'âge d'environ 48 ans. Un âge respectable pour l'époque. Il laisse à son fils aîné Jacques II un héritage bien géré, une seigneurie prospère et un moulin qui tourne sans à-coup depuis des décennies.

1398 - Jacques II D'ESCH et Poincette DE VY : le seigneur chroniqueur

Jacques II D'ESCH naît en 1371. Il hérite de la seigneurie de Bazoncourt en 1398, à la mort de son père. Mais ce n'est pas un simple gestionnaire de domaine. Chevalier, il gravit les échelons du pouvoir messin : maître-échevin en 1403, puis échevin du palais. Des postes qui donnent accès aux rouages de la République messine.

En 1380 (ou peu après), il épouse Poincette DE VY, fille de Jean De Vy, lui-même chevalier et maître-échevin en 1387. Encore une alliance stratégique qui renforce l'ancrage des D'ESCH dans l'élite messine. Le couple aura cinq enfants, dont nous parlerons dans un instant.

Mais ce qui rend Jacques II vraiment singulier, c'est son goût pour l'aventure et l'écriture. En 1399-1400, pendant l'hiver, il part en croisade dans les Pays Baltes. Pas n'importe où : aux côtés de l'Ordre Teutonique et du prince de Lituanie Vytautas. Une expédition loin de la Lorraine, dans des terres glacées où les chevaliers d'Occident viennent prouver leur valeur contre les derniers païens d'Europe. Une épopée qui laisse des traces.

De retour à Metz, entre 1420 et 1440, Jacques II prend la plume. Il rédige une chronique des rois et des empereurs de la maison de Luxembourg. Pas juste pour raconter des batailles, mais pour consigner son expérience politique au service de la cité de Metz. Un témoignage rare d'un seigneur qui ne se contente pas de gérer ses terres, mais qui pense aussi le pouvoir et l'histoire. Ce texte, perdu aujourd'hui ou dispersé dans des archives, reste un élément fascinant de son parcours.

Pendant toutes ces années, le Moulin de Bazoncourt continue de moudre le grain. Jacques II, entre ses fonctions politiques et ses écrits, veille à la gestion du domaine. Les revenus du moulin financent en partie son train de vie et ses ambitions. L'installation hydraulique reste le socle économique de la seigneurie.

Poincette DE VY meurt en 1447, à un âge avancé. Elle est enterrée aux Célestins, à Metz, dans la tradition des grandes familles messines. Jacques II lui survit quelques années et s'éteint en 1455, à 84 ans. Une longévité remarquable pour le XVe siècle.

Le couple a cinq enfants : Jean III (qui mourra en 1439 avec son épouse Catherine lors d'une épidémie), Nicolle (chanoine et trésorier de la cathédrale), Perrette (mariée à Nicolle Gronay), Isabelle (abbesse de Sainte-Glossinde) et Philippe II, le benjamin, qui reprendra la seigneurie de Bazoncourt.

Sources : Geneanet - Famille D'Esch - Document MOYEN-ÂGE – RENAISSANCE.txt

1300-1400 - L'âge d'or technique médiéval et l'art du rhabillage

Le XIVe siècle marque l'apogée technique du moulin médiéval. À Bazoncourt, comme dans l'ensemble de la meunerie lorraine, cette période voit la consolidation et le raffinement des innovations précédentes.

Le bâtiment du moulin se perfectionne : construction de fondations plus solides (probablement en chêne, technique similaire à celle de la cathédrale de Metz), murs épais en granite local pour résister aux vibrations, système de poutres de soutènement pour supporter les charges de grain, aménagement de greniers de stockage plus spacieux.

Les systèmes de transmission gagnent en précision : perfectionnement des engrenages bois avec ajustements plus fins, amélioration des paliers et crapaudines pour réduire l'usure, développement de systèmes de lubrification rudimentaires, optimisation des rapports de vitesse entre roue et meules.

Cette période voit naître les premières techniques systématiques d'entretien des meules. Le "repiquage" se fait avec des marteaux pointus à grain d'orge, mais les meuniers apprennent à adapter leur technique selon la nature de la pierre. On ménage les parties poreuses qui n'ont besoin que de quelques coups de marteau, tandis que les parties pleines nécessitent un travail plus intensif. L'introduction progressive de la règle permet d'éviter les "cordons" qui entraveraient le mouvement centrifuge des grains.

Introduction de techniques de nettoyage préalable, premiers systèmes de tamisage organisé, amélioration du réglage fin de l'écartement des meules, perfectionnement du rhabillage (recreusement des rayons).

Le travail des grains s'améliore : introduction de techniques de nettoyage préalable, premiers systèmes de tamisage organisé, amélioration du réglage fin de l'écartement des meules, perfectionnement du rhabillage (recreusement des rayons).

Ces améliorations permettent au moulin de l'abbaye Saint-Pierre d'augmenter sa productivité et d'étendre sa zone d'influence. La contribution de 8 gros mentionnée dans les pouillés de 1360 témoigne de la prospérité de cette installation modernisée.

1450-1500 - Vers la modernisation pré-industrielle et l'évolution des matériaux

Carte de Abraham Fabert - 1610 - Moulin de Bazoncourt

Description du Pays Messin et ses confins touchant du costé de Lorient a lallemaigne du costé de Midy et doccident a la Lorraine et Barrois et du Septentrion au Duche de Luxembourg - Abraham Fabert - 1610

1450-1500 : La fin du XVe siècle annonce les transformations qui révolutionneront la meunerie. À Bazoncourt, bien que conservant ses caractéristiques médiévales, le moulin intègre progressivement les innovations qui préparent l'époque moderne.

Cette période charnière voit l'abandon progressif des meules monolithiques au profit de meules composées de morceaux choisis et assemblés. Cette innovation fondamentale permet d'obtenir une homogénéité impossible avec les blocs uniques. L'art du "mariage des meules" se développe : on associe des pierres de duretés différentes pour optimiser le travail selon la nature des grains.

Introduction de cribles primitifs pour éliminer les impuretés grossières, développement de techniques de vannage pour séparer les grains légers, premières tentatives de battage pour éliminer les poussières adhérentes.

Cette période voit se structurer les dynasties meunières qui transmettront leurs connaissances techniques de génération en génération. Comme le soulignent les traités techniques, "le progrès est tout-à-fait local" car "le manque d'instruction empêche de consigner dans un écrit les résultats des observations". Les innovations se transmettent ainsi principalement par les réseaux familiaux et le compagnonnage.

Malgré ces évolutions, les moulins de la fin du XVe siècle conservent des défauts structurels majeurs : meules mal piquées et mal dressées, anilles mal équilibrées provoquant vibrations et cahotements, rayonnage encore empirique. Ces imperfections expliquent pourquoi l'art du meunier reste largement empirique et se transmet uniquement par les réseaux familiaux.

1455 - Philippe II D'ESCH et Comtesse DE WARIZE : le chevalier bourguignon

En 1455, à la mort de son père Jacques II, Philippe II D'ESCH hérite de la seigneurie de Bazoncourt. Né en 1416, c'est le benjamin de la fratrie, celui qui a échappé à l'épidémie de 1439 et qui a grandi dans l'ombre d'un père longévif et influent. Il se marie avec Comtesse DE WARIZE (parfois orthographié Warise), née en 1417, fille de Geoffroy de Warize, chevalier et maître-échevin en 1414, et de Jeannette Roxin.

Comtesse n'est pas qu'un prénom, c'est aussi un titre. Dame de Châtel-devant-Metz et de Pournoy-la-Chétive, elle apporte à Philippe II des possessions importantes qui s'ajoutent à celles de Bazoncourt. Un mariage qui renforce encore l'assise territoriale et politique des D'ESCH dans le pays messin.

Charles le Téméraire

Charles le Téméraire, duc de Bourgogne

Mais Philippe II ne se contente pas de gérer des domaines. En 1466, lors de la reprise de Huy par les Bourguignons sur les Liégeois, il reçoit l'adoubement de chevalier. Cinquante ans, l'âge où d'autres pensent à la retraite. Lui, il part au combat. Cette guerre entre le duc de Bourgogne et la principauté de Liège oppose des puissances régionales majeures. Philippe II choisit son camp : celui de la Bourgogne.

Sept ans plus tard, en 1473, il devient conseiller et chambellan de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Un poste de confiance auprès d'un prince ambitieux qui rêve de restaurer l'ancien royaume de Lotharingie. Philippe II évolue dans les cercles du pouvoir bourguignon, loin de la petite politique messine, même s'il reste maître-échevin de Metz en 1471. Un pied à Metz, l'autre à la cour de Bourgogne. L'équilibre classique des seigneurs lorrains de l'époque, tiraillés entre plusieurs souverainetés.

Pour le Moulin de Bazoncourt, ces décennies sont celles de la continuité. Les meules tournent, les redevances rentrent, le système féodal fonctionne. Philippe II, entre ses campagnes militaires et ses fonctions à la cour, délègue probablement la gestion quotidienne. Mais les revenus du moulin restent essentiels. Ils financent son train de vie, ses équipements de chevalier, sa position sociale.

Cette année-là, la même où Philippe II reçoit l'adoubement, une tragédie frappe la famille. Quatre de leurs filles meurent : Wiberotte, Jeanne, Jennette et Isabelle. Toutes en 1466. Une épidémie, très probablement. La peste ou une autre maladie contagieuse qui ravage périodiquement les villes et campagnes médiévales. En quelques semaines, peut-être quelques mois, le couple perd quatre enfants.

Seuls survivent Jacques III, l'aîné, et Nicolle. Deux fils sur six enfants. Un taux de mortalité terrible, même pour le XVe siècle. On imagine le poids de ce deuil pour Philippe II et Comtesse. Les épitaphes, les sépultures à Saint-Eucaire, les prières pour les défunts. La continuité dynastique tient à un fil.

Philippe II meurt le 12 décembre 1476, à l'âge de 60 ans. Un an avant la mort de son protecteur Charles le Téméraire, tué à Nancy en janvier 1477. Il ne verra pas l'effondrement du rêve bourguignon, la fin de ce duché qui voulait rivaliser avec le royaume de France. Comtesse DE WARIZE lui survit neuf ans et s'éteint en 1485, à 68 ans, après avoir vu son fils Jacques III prendre les rênes de la seigneurie.

Le couple repose probablement à Saint-Eucaire, comme tant d'autres membres de la famille D'ESCH. La chapelle Saint-Blaise, ce lieu de mémoire familiale, accueille leurs dépouilles et perpétue leur souvenir dans la pierre et les inscriptions latines.

Sources : Geneanet - Philippe D'Esch - Document MOYEN-ÂGE – RENAISSANCE.txt